INTERVIEW CROISÉE

Nicolas TROMPETTE, Expert acousticien à l’INRS et Thomas BARTH, IPRP à ST Provence

ST Provence s’est appuyé sur l’expertise de l’INRS, l’Institut National de Recherche et de Sécurité au travail dans le cadre d’une étude de bruit particulière sur les ultrasons (ces petits “biiiipppp” aigus proches des 20 kilohertz, sournois et même parfois imperceptibles), à la confiserie Le Roy René (Aix-en-Provence).

Quel est l’objet de cette collaboration ST Provence – INRS ?

Thomas BARTH (T.B.) : La confiserie du Roy René a fait appel à ST Provence et a sollicité le Dr Christine REMY (médecin du travail) pour qu’une étude de bruit soit réalisée auprès d’une trancheuse à ultrasons récemment installée dans leur atelier de conditionnement de nougat. En effet, certains salariés de la confiserie, travaillant à proximité de cette machine, ont fait remonter la présence de sons “stridents”. En tant qu’Intervenant en Prévention des Risques Professionnels (IPRP), je suis donc intervenu pour réaliser des mesures de bruits dans l’atelier, à l’aide d’un sonomètre. Après une première phase de mesure, j’ai vite constaté que certains résultats paraissaient inhabituels. Comme souvent, je me suis alors tourné vers le site internet de l’INRS sur lequel j’ai trouvé un document confirmant l’inadaptation du sonomètre aux ultrasons : j’ai alors pris contact avec l’INRS pour avoir leur regard sur ce sujet.

En quoi l’INRS avait-il toutes les compétences pour accompagner cette étude ?

Nicolas TROMPETTE (N.T.) : L’INRS est doté d’un laboratoire “Acoustique au travail” composé d’experts et de chercheurs spécialisés. Les experts viennent en soutien du réseau des préventeurs : CARSAT, IPRP ou médecins des Services de Prévention et de Santé au Travail (comme ST Provence par exemple). Les chercheurs font avancer les connaissances dans les nouvelles problématiques, par exemple, le confort des protections auditives ou le bruit dans les espaces de bureaux ouverts. Cela fait partie des missions de l’INRS : quand un Service de Prévention et Santé au Travail rencontre une problématique nouvelle ou difficile, les experts de l’INRS peuvent venir l’appuyer. La découpe par lames ultrasons est une technique relativement récente. L’exposition sonore qui en découle est difficile à mesurer et ses effets sont mal connus. Une étude est d’ailleurs en cours à l’INRS sur le sujet.

Comment cette étude s’est-t-elle organisée ?

T.B. : Nicolas TROMPETTE a tout d’abord pris contact avec moi par téléphone, ce qui m’a permis de lui expliquer plus précisément ma problématique. Il m’a alors proposé de venir réaliser des mesures sur site avec un appareillage spécifique, en capacité de répondre à mes interrogations. J’ai ensuite relayé cette proposition, d’abord au médecin du travail puis à l’entreprise, proposition qui a été acceptée. Nous avons alors défini une date à laquelle nous étions tous disponibles afin de réaliser de nouvelles mesures, ce qui a permis de comparer les résultats obtenus avec les deux moyens de mesure.

N.T : Thomas BARTH s’est inquiété auprès de l’INRS de savoir si ses appareils de mesure étaient opérationnels à la fréquence de fonctionnement de la machine de découpe (20 kHz) et était préoccupé par l’effet des sons hautes fréquences sur l’opérateur de la machine. Nous sommes venus l’assister pour les mesures avec un appareillage dédié doté de microphones et d’un système d’acquisition permettant la mesure jusqu’à 40kHz. Nous avons cartographié le bruit autour de la machine avec les deux systèmes de mesure et nous les avons comparés.

Quels ont-été les niveaux sonores enregistrés lors de cette étude comparée ?

T.B. : Notre sonomètre a révélé des valeurs comprises entre 83 et 95 dB(A) lors des découpes du nougat. La fréquence maximale pouvant être affichée sur notre appareil étant de 16 kHz, il n’était pas possible de connaitre le niveau sonore sur la fréquence de fonctionnement de la machine, à savoir 20 kHz.

N.T. : Avec la machine en fonctionnement, sur une phase de plusieurs découpes, le niveau sonore global pondéré A, c’est-à-dire opposable aux limites réglementaires, varie entre 92 dB(A) et 103 dB(A) suivant la position de l’opérateur considérée. À la fréquence de découpe, soit 20kHz, il varie de 96 à 107 dB.

Qu’est-ce ce que cela a-t-il permis de révéler ?

T.B. : Cette étude a confirmé mes premiers doutes : notre sonomètre n’est pas un outil adapté à l’étude spécifiques des ultrasons. Elle a également permis d’objectiver la gêne sonore exprimée par plusieurs opérateurs travaillant à proximité de la trancheuse.

N.T. : Les limites réglementaires sont dépassées. Les recommandations de l’INRS à la fréquence de 20 kHz aussi. Il y a donc présomption de danger pour l’opérateur de la machine. Les limites réglementaires étant dépassées, l’employeur a des obligations : il doit notamment signaler le danger, mettre à disposition des protections individuelles adaptées et s’assurer qu’elles sont portées et proposer et mettre en œuvre des solutions de réduction du bruit de la machine. Les mesures ont aussi permis de révéler les faiblesses du capotage de la machine et donc de montrer à l’industriel comment l’améliorer.

Quelle suite sera donnée à cette étude ?

T.B. : Comme nous le faisons habituellement, un rapport écrit présentant les résultats des mesures et les préconisations formulées pour réduire l’exposition des salariés sera remis à l’entreprise, après validation du médecin du travail. Il appartiendra ensuite à l’entreprise de suivre (ou pas…) nos préconisations. En tant que conseiller des entreprises sur les questions de sécurité et de santé au travail, notre rôle n’est pas d’obliger l’employeur à mettre en place nos préconisations, mais de lui rappeler ses obligations réglementaires et de l’accompagner dans la mise en œuvre d’actions correctives.

N.T. : C’est ST Provence qui décidera des suites à donner. Si Thomas BARTH le souhaite, nous restons à sa disposition pour discuter des solutions ou faire de nouvelles mesures.

Qu’avez-vous apprécié dans ce partage de compétence ?

T.B. : L’INRS étant l’institution de référence en matière de sécurité au travail, il est très appréciable de pouvoir les solliciter et encore plus d’avoir une réponse de cette qualité. Les résultats obtenus ont permis d’explorer plus en profondeur la problématique de départ et de s’apercevoir que les plaintes des salariés étaient justifiées.

N.T. : Il est très important pour l’INRS d’être en permanence en contact avec les Services de Préventions et de Santé au Travail et les CARSAT. Ils sont nos relais en prévention des risques professionnels et nous permettent de prendre la mesure des problématiques qu’ils rencontrent sur le terrain. Dans ce cas particulier, la relation avec l’industriel était en plus très bonne ce qui nous a permis d’intervenir dans d’excellentes conditions.

Pensez-vous réitérer ce type de collaboration ?

T.B. : Sans hésiter, oui ! L’INRS, auprès de qui j’ai suivi de nombreux stages de formation continue (ambiance lumineuse, vibrations, risques biologiques…), dispose de ressources et de compétences sur lesquelles nous nous appuyons au quotidien pour mener à bien nos missions. Les personnes de l’INRS sont des chercheurs reconnus dans leurs domaines d’expertise. Pouvoir bénéficier de leurs conseils est un réel avantage pour les IPRP.

N.T. : Comme je l’ai déjà dit, c’est une de nos missions. J’espère que nous avons donné satisfaction à ST Provence. De notre côté, nous avons beaucoup apprécié cette collaboration, très bien préparée par Thomas BARTH, et qui enrichit nos connaissances du terrain et nourrit notre étude sur les effets des hautes fréquences et des ultrasons sur les travailleurs. Nous serons ravis de collaborer à nouveau avec ST Provence.

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